Le moustique tigre est désormais présent dans 78 départements de France hexagonale. Son implantation augmente le risque d’épidémie de dengue, de chikungunya et de Zika. Dans une expertise publiée le 13 septembre 2024, l’Anses estime que la probabilité d’apparition de ces épidémies est assez élevée. Leur survenue pourrait avoir un impact sanitaire ainsi qu’économique et social, notamment sur les secteurs de la santé et du tourisme.
Les cas de dengue et de chikungunya ont augmenté ces dernières années en France hexagonale : en 2022, il y a eu 66 cas de dengue autochtone, c’est-à-dire de personnes s’étant infectées localement, soit autant que le nombre total de cas autochtones durant les dix années précédentes. La dengue, comme le chikungunya ou le Zika, est une arbovirose, c’est-à-dire une maladie due à un virus transmis par des arthropodes vecteurs, ici des moustiques.
À la demande de la Direction générale de la santé, l’Anses a mené une expertise afin d’estimer la probabilité d’apparition en France hexagonale d’épidémies d’arbovirose transmise par les moustiques, ainsi que leurs impacts sanitaires, sociaux et économiques. Au vu de l’augmentation des cas de dengue ces dernières années, l’expertise s’est focalisée sur les virus transmis par le moustique tigre. Elle s’appuie sur la consultation d’acteurs de terrain, ainsi que sur une revue de la littérature.
Un risque assez élevé d’épidémie d’arbovirose dans les cinq prochaines années
Jusqu’à présent, les cas autochtones de virus transmis par le moustique tigre dans l’Hexagone ont été des foyers localisés, dans lesquels il a toujours été possible de retracer l’origine des contaminations. À l’heure actuelle, les experts estiment qu’une épidémie d’arbovirose, tous virus confondus, a une probabilité comprise entre 6 et 7 sur une échelle de 0 à 9 de survenir dans les cinq prochaines années. « On parle d’épidémie à partir du moment où il n’est pas possible de relier toutes les personnes infectées à un foyer. Cela veut dire que les transmissions échappent au dispositif de contrôle », explique Émeline Barrès, de la Direction d’évaluation des risques à l’Anses, l’une des deux coordonnatrices de l’expertise.
L’apparition d’une épidémie dépend de nombreux facteurs tels que : la présence du moustique tigre sur le territoire, des conditions climatiques favorables à leur reproduction (en particulier le cumul de jours chauds sur une période donnée et de précipitations), l’arrivée de personnes infectées en provenance de zones où circulent les virus, ainsi que l’efficacité des mesures de lutte contre les moustiques tigres et la transmission des virus.
Risque de saturation du système de lutte anti-vectorielle
En cas d’épidémie, les moyens de prévention et de contrôle des arboviroses pourraient être rapidement saturés : « certains acteurs impliqués dans le suivi et la lutte anti-vectorielle que nous avons interrogés au cours de l’expertise nous ont confié qu’ils auraient été débordés si des cas supplémentaires étaient survenus ces dernières années » indique Véronique Raimond, économiste de la santé au sein de la Direction Sciences sociales, économie et société de l’Anses, l’autre coordinatrice de l’expertise.
La gestion de cas d’arboviroses, qu’ils soient importés ou autochtones, requiert des moyens matériels, financiers et humains importants. Les protocoles de surveillance et de contrôle nécessitent en effet, d’une part, de retracer tous les contacts de la personne infectée au cours des 10 jours précédents et, d’autre part, de contrôler les lieux visités par le malade afin d’éliminer les moustiques tigres présents. L’augmentation du nombre de cas avec les moyens actuels conduirait à une dégradation de la qualité des opérations, mais aussi des conditions de travail des personnes impliquées dans la surveillance. Dans cette situation, une priorisation serait nécessaire. L’Anses a publié un avis en mars 2024 pour proposer des critères de priorisation des actions de lutte anti-vectorielle.
L’Agence recommande donc d’adapter les moyens aux besoins de prévention, de surveillance et de contrôle des arboviroses. Elle préconise également la mise en place d’un plan interministériel de lutte contre ces maladies afin de mieux identifier et coordonner les acteurs impliqués, y compris la mobilisation de la population.
Risque de tension sur le système de santé en cas d’épidémie majeure
Les experts estiment que le système de santé serait en tension en cas d’épidémie majeure, c’est-à-dire si de nombreux cas surviennent sur un territoire élargi. Il y a également un risque de saturation si cette épidémie coïncide avec une autre, comme cela a été le cas dans les Antilles en 2020, où une épidémie de dengue est survenue en même temps que celle de Covid-19. Le risque peut aussi exister si l’offre de soins, en particulier les médecins généralistes et les services d’urgence, est déjà saturée, comme cela peut être le cas pendant la période d’activité du moustique.
Afin de mieux anticiper les conséquences d’une épidémie d’arbovirose dans l’Hexagone, la valorisation des expériences des départements et régions d’Outre-mer doit être renforcée. Les experts soulignent également l’importance de former les personnels de santé pour qu’ils connaissent les facteurs de risque et signaux d’alerte des formes graves d’arbovirose.
Des impacts économiques et l’aggravation des inégalités sociales
S’il est peu probable qu’une épidémie d’arbovirose dans l’Hexagone ait un fort impact sur l’économie globale, certains secteurs pourraient être fragilisés. Le tourisme risque d’être le principal secteur touché en cas de circulation d’un arbovirus, même de faible ampleur, avec une diminution de la fréquentation des territoires concernés.
Par ailleurs, les épidémies sont connues pour aggraver les inégalités sociales. En cas d’épidémie d’arbovirose, l’Anses appelle les autorités à la vigilance pour que les populations les plus défavorisées aient accès aux informations, aux moyens de prévention et aux soins.
Afin de favoriser l’implication de tous dans les actions de lutte anti-vectorielle et de prévention contre les maladies transmises, l’Agence recommande enfin que les citoyens et tous les acteurs concernés soient associés à la construction des stratégies de lutte contre les arboviroses au niveau territorial.
Par ailleurs, la présence du moustique tigre étant favorisée par le dérèglement climatique et l’augmentation des températures, la lutte contre les arboviroses doit s’inscrire dans une approche plus large de lutte contre les changements climatiques et autres changements globaux.
Des actions individuelles pour éviter la propagation des arboviroses
Outre les actions collectives pour lutter contre le moustique tigre et les potentielles transmissions de virus, des actions individuelles sont aussi nécessaires. Il est ainsi recommandé de :
- vider régulièrement les coupelles et autres contenants remplis d’eau, pour éviter qu’ils ne deviennent des gites larvaires ;
- recouvrir les récupérateurs d’eau de pluie avec une moustiquaire ;
- Se protéger des piqûres de moustiques en portant des vêtements longs, amples et clairs et en utilisant des répulsifs.
Les personnes arrivant d’une zone où une arbovirose circule doivent également prendre des précautions pour éviter de transmettre les virus :
- se protéger des piqûres de moustiques ;
- se signaler auprès d’un professionnel de santé dès les premiers symptômes évocateurs d’une arbovirose (fièvre, état grippal, etc.).