La pollution des sols constitue un défi sociétal majeur, ayant de lourdes implications pour la santé environnementale, mais aussi pour la santé humaine. Les chercheurs sont depuis longtemps mobilisés sur ces problématiques, en accompagnant par exemple la mise en place de normes et réglementations sur la gestion des déchets industriels et agricoles. Une question subsiste : comment réhabiliter des sites déjà lourdement contaminés ? Et si les ambroisies, dont on connait la capacité à pousser sur des sols très abimés, constituaient une solution à ce casse-tête ? Remède miracle ou fausse bonne idée ?

Métaux lourds dans les sols

Les métaux lourds sont susceptibles de contaminer les sols par le biais de diverses activités humaines : exploitations industrielles et minières, utilisation de produits chimiques, dépôts atmosphériques, etc. Cette pollution est susceptible de provoquer de lourdes problématiques sanitaires et environnementales.

De lourdes conséquences sanitaires et environnementales

Concernant la santé humaine, ces métaux peuvent atteindre le corps humain via l’ingestion de plantes cultivées sur ces sols, l’inhalation de poussières ou la consommation d’eau contaminée. L’exposition à ces substances peut provoquer divers problèmes de santé en affectant le système nerveux et les reins. Sur le long terme, elles peuvent provoquer des maladies chroniques telles que des troubles cardiovasculaires, des maladies rénales, des anomalies de développement chez les enfants, des altérations du système immunitaire et potentiellement des cancers. La présence de métaux lourds dans le sol peut aussi avoir des répercussions significatives sur la santé des écosystèmes, en affectant la biodiversité, les cycles biogéochimiques et la qualité des habitats naturels.

La gestion et la réhabilitation des sites contaminés sont cruciales pour minimiser les impacts sanitaires et environnementaux négatifs des métaux lourds.

Dépolluer les sols par les plantes

La phytoremédiation est une technique écologique innovante qui utilise les plantes pour dépolluer les sols, l’eau et même l’air contaminés par des substances toxiques (métaux lourds, mais aussi hydrocarbures et pesticides). Cette approche s’inscrit dans le cycle naturel des plantes en exploitant leur capacité naturelle à absorber, accumuler, transformer ou dégrader ces polluants sans les affecter négativement. Certaines plantes, dites « phytoremédiatrices », sont choisies pour leur capacité à tolérer des niveaux élevés de polluants tout en maintenant leur croissance et leur santé. Par exemple, certains végétaux comme les tournesols, les saules ou les peupliers ont la capacité d’absorber des métaux lourds à travers leurs racines et de les concentrer dans leurs parties aériennes : un processus appelé hyperaccumulation.

La phytoremédiation présente plusieurs avantages par rapport aux méthodes traditionnelles de dépollution, telles que l’excavation et l’élimination des sols contaminés, qui peuvent être coûteuses et perturbatrices pour les écosystèmes locaux. Au contraire, la phytoremédiation est souvent moins invasive, durable et peut restaurer la qualité des sols de manière plus naturelle et compatible avec l’environnement.

L’ambroisie, une solution pour dépolluer ?

Dans une étude parue en mars 2024, des scientifiques ont travaillé sur les capacités bio-accumulatrices de deux espèces originaires d’Amérique du Nord : l’Ambroisie à feuilles d’armoise (Ambrosia artemisiifolia) et la Vergerette du Canada (Erigeron canadensis).

Étude de cas : sols contaminés en province ukrainienne

Dnipro est une ville ukrainienne fortement polluée à cause de ses activités industrielles. Le site étudié dans le cadre de l’enquête menée par les scientifiques se situe à 12 km d’une usine de production et de recyclage de batteries. Les concentrations de métaux, prélevées dans le sol et dans les plantes, concernent le cuivre (Cu), le chrome (Cr), le plomb (Pb) et le zinc (Zn).

Une carte du site de prélèvement. Le cercle jaune indique les sites d'échantillonnage ; le cercle rouge indique l'emplacement de l'entreprise ; la ligne sombre est tracée à une distance de 12 020 m de la source de pollution (entreprise de production et de traitement de batteries dans la ville de Dnipro en Ukraine) jusqu'au site d'échantillonnage. La carte insérée est une carte de l’Ukraine. Le symbole rouge indique la ville de Dnipro. «CC BY-SA 2.2

Indicateurs étudiés

Afin d’évaluer le pouvoir de dépollution des plantes étudiées, les scientifiques utilisent deux indicateurs. Le premier, appelé Indice de bioaccumulation (PUI), est calculé comme le rapport entre la concentration de métal dans la plante et la concentration de métal disponible dans le sol. Plus le PUI est élevé, plus la plante a tendance à accumuler ce métal dans ses tissus. Le second indicateur est l’Indice de translocation (TF). Il est calculé comme le rapport entre la concentration du métal dans les parties aériennes de la plante (inflorescence, tige, feuilles) et la concentration du métal dans ses racines. Il permet d’évaluer la capacité d’une plante à transporter les métaux lourds absorbés par les racines vers les parties aériennes. Plus le TF est élevé, plus la plante transporte efficacement.

Une plante est dite hyperaccumulatrice si elle est capable d’accumuler dans ses tissus (et sans mourir) une quantité élevée d’un ou de plusieurs éléments toxiques. On en compte environ 700 espèces dans le monde, ce qui représente environ 0,2% des plantes vasculaires connues. Afin qu’une plante soit considérée comme hyperaccumulatrice, il faut qu’elle remplisse trois critères : l’indice de bioaccumulation (PUI) doit être supérieur à 1, l’indice de translocation (TF) doit aussi être supérieur à 1, et les concentrations de métaux dans les parties aériennes doivent être supérieures à des seuils spécifiques (en détail : plus de 1000 mg/kg pour le cuivre, le chrome et le plomb, et plus de 10 000 mg/kg pour le zinc).

La concentration de Cr et Pb (a) et de Cu et Zn (b) dans certaines parties d'Ambrosia artemisiifolia L.

Le cas de l’Ambroisie à feuilles d’armoise (Ambrosia artemisiifolia)

Les résultats de l’étude montrent :

  • Un bon indice de translocation (TF) pour le chrome, le cuivre et le zinc, avec le zinc ayant le meilleur indice de translocation (TF de 2.4). En revanche, l’indice est faible pour le plomb (TF = 0.64).
  • Un bon indice de bioaccumulation (PUI) pour les métaux étudiés, à l’exception du plomb (Pb) qui a un PUI nettement plus bas que les autres métaux. Par exemple, le PUI pour le cuivre est de 216.7 pour la masse totale de la plante, alors que pour le plomb, il est de 1.89.
  • Des concentrations totales de métal largement inférieures aux seuils définissant une plante hyperaccumulatrice.

Ces résultats indiquent que l’Ambroisie à feuilles d’armoise présente de bons résultats pour la phytoremédiation des sols contaminés par le cuivre et le zinc. En revanche, elle ne remplit pas les critères suffisants pour être considérée comme une plante hyperaccumulatrice.

 

Un rapport coût-bénéfice encore peu convaincant

Il ne serait pas raisonnable de présenter ces résultats sans rappeler le lourd impact sanitaire, environnemental et agricole des ambroisies. En effet, l’Ambroisie à feuilles d’armoise produit du pollen hautement allergisant, perturbe les écosystèmes naturels (en tant qu’espèce exotique envahissante) et représente aussi un enjeu agricole puisqu’elle rentre en concurrence avec les végétaux cultivés.

Ces impacts négatifs limitent considérablement la possibilité d’utiliser les ambroisies pour leurs propriétés de phytoremédiation. En outre, on peut rappeler que d’autres espèces de plantes présentent de tout aussi bons résultats : par exemple, le Géranium bleu (Thlaspi caerulescens) pour le zinc et la Moutarde brune (Brassica juncea) pour le cuivre.

Sources et remerciements

Laptiev V, Apori SO, Giltrap M, Tian F, Ryzhenko N. Bioaccumulation of Cr, Zn, Pb and Cu in Ambrosia artemisiifolia L. and Erigeron canadensis L. Resources. 2024; 13(3):43. https://doi.org/10.3390/resources13030043

Baker, Alan & Mcgrath, Steve & Reeves, Roger & Smith, J.A.C.. (2000). Metal hyperaccumulator plants: a review of the ecology and physiology of a biological resource for phytoremediation of metal-polluted soils. Phytoremediation Contamin. Soil Water. 85.

Auteur : Tristan GRAUSI

Relecteurs : Observatoire des ambroisies